Bonjour à vous,
Aujourd’hui, je vous propose de rencontrer Jérôme Adam, une personne au parcours très intéressant. Entrepreneur, il est le fondateur et co-producteur des séries « J’en crois pas mes yeux », pour sensibiliser au handicap et à la diversité avec humour. Il a écrit avec Patrick Blanchet le livre « Entreprendre avec sa différence ». Confronté au handicap, il est aveugle depuis l’adolescence. Il s’est lancé un nouveau défi sportif : l’ascension du Mont Ventoux en tandem, en juin prochain.
J’ai eu le plaisir de l’interviewer. Voici les questions que je lui ai posées :
Bonjour Jérôme, merci d’avoir accepté de répondre à mes questions.
Pour commencer, pourquoi avoir choisi l’entreprenariat ? Une vocation ?
Pour moi, l’entreprenariat est avant tout un état d’esprit, un tempérament, qui va bien au-delà de la simple création d’entreprise, dans tous les aspects du quotidien, comme la prise de risques et d’initiatives, le fait susciter l’enthousiasme chez les autres.
Dans mon cas personnel, j’ai pris des responsabilités assez tôt, comme être capitaine de mon équipe de foot, être délégué de tous les élèves en classe de seconde. J’ai aussi baigné dans une entreprise familiale dans mon entourage. Pendant mes études, j’ai organisé plusieurs évènements sportifs. Le déclic a été la rencontre avec différentes personnes avec l’ESSEC, mon école de commerce. j’ai eu l’occasion de partir aux Etats-Unis. J’ai enfin rencontré un professeur d’entreprenariat à mon école qui a fini de me convaincre de me lancer.
Comment fait-on pour gérer une entreprise lorsqu’on est aveugle ?
Je pense notamment à tous les documents administratifs à remplir.
A l’heure actuelle de la dématérialisation, beaucoup de démarchent peuvent s’effectuer
via internet. Aussi, étant donné que les tâches administratives ont peu de valeur ajoutée pour
l’entreprise, elles sont déléguées à des professionnels, comme des experts comptables.
Pour les quelques éléments papiers, mon associé ou ma compagne peuvent m’aider.
Quelles sont les principaux enseignements de votre 1ère entreprise ?
Ma 1ère entreprise m’a appris énormément de chose, même si elle s’est conclue par un dépôt de bilan. Lorsque j’étais aux Etats-Unis, on m’a souvent dit « crée ta boîte ! si tu te plantes, c’est pas
grave, tu auras appris. » Cela s’est avéré être une expérience très formatrice.
Côté business, j’ai déjà appris à trouver et gérer des clients, à lancer un produit même s’il n’est pas parfait, pour l’améliorer ensuite.
Cela m’a beaucoup apporté sur le plan humain. L’entreprenariat est une vraie école de la vie,
j’ai développé ma confiance en moi, appris à prendre des décisions pour pouvoir prendre les bonnes décisions ensuite, gérer mes émotions, vis à vis du rationnel notamment.
Une somme d’expériences très riches pour résumer.
Qu’est-ce qui vous a permis de rebondir suite au dépôt de bilan de Visual Frendly ?
Et de vous lancer dans une nouvelle création d’entreprise ?
C’est douloureux de devoir fermer une entreprise, d’autant plus quand c’est la première. Faire le
bilan, mettre des mots sur ce que j’avais vécu et appris m’a aidé à dépasser cet évènement. Je me suis donné un peu le temps, environ 1 an, avant de me lancer de nouveau. Cela a été l’occasion pour moi de finaliser mon livre, de créer un cours d’entreprenariat, et aussi de voyager et de rencontrer différentes personnes. L’important a surtout été de continuer à voir du monde, fréquenter des associations, afin de ne pas s’isoler, après plusieurs années passées avec mes employés et clients.
Etant donné que j’avais le virus de l’entreprenariat, j’ai créé une nouvelle entreprise, seul cette fois-ci, et cela a été plus simple car j’avais déjà l’expérience de la première entreprise, et pas mal de contacts.
Toutes les entreprises que vous avez créées oeuvrent dans le domaine du handicap, comme pour d’autres entrepreneurs handicapés que j’ai pu rencontrer. Pour quelles raisons ?
A vrai dire, ce n’est pas un choix de ma part. Je n’ai pas réussi à me décoller de l’image du handicap. Elles avaient toutes le handicap comme source d’inspiration, comme l’exemple de la télécommande inventée à l’origine pour les personnes tétraplégiques.
Ma 1ère entreprise, Visual Friendly, avait pour vocation d’améliorer la visibilité des pages web, pour des publics variés comme les personnes âgées. Nous avons été catalogué handicap, peut-être à cause de mon handicap, et aussi d’une mauvaise communication.
Il en a été de même pour la seconde entreprise, qui avait pour but de proposer des produits innovants, en partant du fait que le handicap était source d’innovation. Les produits que nous
proposions ont été catalogué produits pour non-voyants.
Pour la troisième entreprise, je me suis dit : quite à être dans une case, autant l’assumer complètement. Nous avons créé J’en Crois Pas Mes Yeux (JCPMY), qui développe des séries humoristiques sur le handicap. Et aujourd’hui nous sommes en mesure d’élargir notre champ d’activité. Nous venons à ce titre de lancer une série sur la diversité au sens large.
Vous vous êtes lancés dans un défi sportif : l’ascension du mont Ventoux. pourquoi ?
quel message voulez-vous faire passer ?
A la base, il s’agissait d’un défi personnel avec mon associé, Guillaume Buffet. L’ascension
du Mont Ventoux, en tandem. Rapidement, notre entourage nous a encouragé à faire connaître ce
défi, pour « donner la pêche à plein de monde ». Nous avons donc fait appel à notre réalisateur, Henry Poulain, pour en faire un documentaire. Les frais techniques du documentaire et la logistique nécessaire à l’organisation de ce défi représenntent une somme conséquente de 27000 Euros. Différents partenaires nous soutiennent déjà, et nous avons aussi appel aux internautes pour nous aider, par l’intermédiaire du crowdfunding avec la plateforme KissKissBankBank..
L’idée est de prolonger le message véhiculé par JCPMY, et de donner une image de rassemblement. Pour cela, le tandem en est symbole fort, car nous serons 2 à faire les efforts pour atteindre le sommet. L’objectif est aussi de parler de choses sérieuses sans se prendre au sérieux, et c’est tout à fait la philosophie de JCPMY. Rendez-vous en Juin prochain.
Au delà, pour quelles raisons la pratique du sport est importante pour vous ?
J’ai pratiqué le sport depuis très longtemps, notamment le foot avec le stade de Reims, où j’ai joué avant de perdre la vue. Le sport a été un élément majeur de ma reconstruction, après la survenue de mon handicap. La stade de Reims a été une façon de me projeter dans l’avenir, car j’allais à tous les matchs, et j’ai pu suivre la progression du club, à l’époque en reconstruction lui aussi, ce qui m’a aidé à remonter la pente.
Quels conseils pourriez-vous donner aux personnes handicapées qui ont
des projets et qui pensent que leur handicap est un obstacle insurmontable ?
Le handicap reste une réelle contrainte au quotidien, que l’on doit apprendre à gérer. Il ne s’agit
pas de nier le handicap et les difficultés qu’il entraine, mais de l’intégrer au fur et à mesure, et de comprendre que l’on peut en faire quelque chose.
Le handicap peut ainsi être la source d’opportunités auxquelles on aurait pas pensé, être à l’origine de superbes rencontres. Bref, passer de la notion de contrainte à celle d’opportunité.
De façon plus pragmatique, il est normal aussi de passer par différentes phases d’acceptation de son handicap, le déni, le refus, l’aigreur et le replis sur soi avant de rebondir, et cela prend du temps.
Avec le recul, j’ai compris 2 choses qui m’ont beaucoup aidé.
- Tout d’abord, ne pas mettre tout le monde dans le même panier, et se focaliser sur les personnes qui souhaite partager leur vie avec vous, et »jouent le jeu », plutôt que sur celles qui tournent le dos au handicap.
- La 2ème chose est de ne pas mettre toutes ses difficultés sur le dos de son handicap, il y a aussi
des difficultés partagées par tous. Il faut sortir du schéma de victime, où tout est lié au handicap.
Merci à vous pour votre témoignage ! Nous ne manquerons pas de suivre ce beau défi sportif.
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